Plantes et remèdes : un voyage dans le temps en Normandie

Publié le par lunemalo

« Dans le temps, on n’allait pas chez le médecin ou chez le pharmacien, on attendait que ça aille mieux, ou alors que ça aille tout à fait mal… »
 
Cette phrase résume en peu de mots, simples et essentiels, la réalité sanitaire quotidienne dans les campagnes françaises il y a quelques décennies, et il n’est pas besoin de remonter très loin pour en saisir les innombrables témoignages, au fil des histoires lâchées par un ancien ou de « recettes » laborieusement consignées dans un cahier d’écolier jauni et pieusement conservées comme quelque mirifique héritage.
Héritage en effet, ou encore transmission et pérennité des traditions ancestrales, perpétuées au fil des générations par les descendants de ceux qui savaient. Car l’usage des plantes pour soigner les maux du corps, et souvent de l’âme, procède d’abord et avant tout d’une nécessité d’économie, de l’obligation de faire seul avec les moyens du bord, donc de la nature, laquelle offre à l’envi ses richesses et sa puissance thérapeutique à qui sait les reconnaître et les plier à son dessein.
 
La citation qui ouvre cet article figure dans l’introduction d’un livre acheté l’été dernier, intitulé ‘Vieux remèdes en Normandie’. Juliette Brabant-Hamonic, son auteur, est pharmacienne et ethnopharmacologue. Elle est également docteur en anthropologie sociale et culturelle de Paris V. Elle compile dans cet ouvrage des remèdes traditionnels, plus spécifiquement ancrés dans le terroir normand, région de bocage, de talus fertiles et de riches vallées où foisonnent les plantes dotées de vertus médicinales.
 
Pharmacopée familiale, c’est ainsi que les personnes qu’elle a interrogées désignent les préparations faites et refaites sur le coin du fourneau, d’une année à l’autre, et réputées guérir peines et maux d'une vie quotidienne qu'on devine de dur labeur. La rigueur scientifique de l’auteur transparaît tout au long des pages, notamment dans les rappels de prudence ou les explications plus « scientifiques » sur les vertus foncières des plantes évoquées et dont l’usage ancestral se fonde le plus souvent sur la méthode empirique et l’observation, notamment des animaux.
Sont ainsi cités le ou les noms vernaculaires des plantes et leur appellation latine, que complètent des illustrations couleur soignées de leurs différentes parties. Ces dessins délicats sont l’œuvre de Dominique MANSION, plasticien et illustrateur naturaliste.
 
La voix de l’ethnopharmacologue se fait également entendre, ici et là, au fil d’explications sur les croyances populaires liées au règne végétal, qui ont déterminé certaines plantations systématiques et noms de lieux. Ainsi le tilleul, tiyeû, qui a donné son nom (Theil ou Thil) à de nombreux villages normands, et protège encore aujourd’hui des maléfices, dit-on, les maisons auprès desquelles il a été planté.
 
Il ne s’agit donc pas d’un traité de botanique exhaustif, qui recenserait les données issues de la recherche traditionnelle, mais plutôt d’un recueil de témoignages familiaux, auxquels la scientifique apporte sa caution par la sélection qu’elle y a nécessairement opérée, et par la façon dont elle les complète, si besoin.
 
Petit clin d’œil pour Blue, qui se demandait comment teindre un pantalon étrangement décoloré : la baie mûre du lierre grimpant (Hedera helix) aurait la faculté, sous forme de lotion, de noircir les cheveux et les tissus.
 
Pour Pescalune, qui s’applique à suivre l’évolution de notre astre de prédilection pour ses plantations, ces conseils pour planter le thym : « …il faut qu’il soit planté un vendredi, et ne reprend que s’il est planté par un menteur. » (Atlas linguistique et ethnographique normand). Et laisse quelques ronces s'épanouir dans ton futur carré de simples, ma belle, malgré leurs vigoureuses épines elles sont, elles aussi, dotées de vertus médicinales...
 
Pour Venezia, enfin, un remède qui comblera son amour des roses tout en apaisant ses yeux fragiles : la compresse de fleurs, obtenue en faisant bouillir doucement une pincée de chacune de ces fleurs : rosa centifolia, grande camomille, bleuet et grande chélidoine. Laisser tiédir la décoction, et en imbiber un fin mouchoir que l’on appliquera sur les paupières.
 
Et pour surmonter la torpeur hépatique due aux récentes agapes de Noël, pourquoi ne pas essayer le Bouillon de légumes de la diète ? L’usage de cette forme de dépuration de l’organisme dont Hippocrate, déjà, était un fervent adepte, s’est perpétué sans faiblir. Ses vertus étaient tellement réputées que la recette a longtemps figuré au codex, et qu’on allait quérir chez le pharmacien, sur prescription de Monsieur le Docteur, le breuvage salvateur…
 
Pour être familiale, celle qui suit n’en a pas moins d’effet :
 
1 à 3 poireaux (selon grosseur)
2 petits navets
2 carottes moyennes
 
Faire bouillir à petit feu les légumes détaillés en dés ou rondelles dans 2 litres d’eau pure, légèrement salée. Filtrer et boire dans la journée. Compléter, si besoin, par une infusion de menthe qui stimulera la fonction digestive.
 
Le livre enfin se referme sur les conseils de prudence et avertissements d’usage, et sur une bibliographie appétissante qui incite à pousser plus avant la découverte de l’usage des plantes sous l’angle ethnographique. Ce que je vous invite donc à faire...
 

Vieux remèdes en Normandie
Auteur : Juliette Brabant-Hamonic, illustrations : Dominique Mansion
Éditions Ouest France
Illustration Wikipedia
 
 
 

Publié dans Grimoires et palabres

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P
Damned ! voilà pourquoi mon thym ne reprend jamais. C'est que je ne mens pas moi !
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L
Voilà, on n'est pas toujours récompensé de suivre le droit chemin ;-)) Celui de Pôasson est magnifique, bizarre, non ??
V
rose et camomille, deux grandes copines… ça ne peut que calmer les paupières… merci pour cette balade normande au fil léger de ta plume
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L
Il y en a une autre en préparation...
M
Alors là, j'applaudis des deux mains!C'est superbement écrit et décrit ...et je ne sais comment résister au désir d'acheter cet ouvrage dont tu parles si bien!
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L
Michele, toujours aussi gentille ;-)) Surtout, ne résiste pas...
P
Va falloir que je trouve un menteur disponible un vendredi alors .... tu veux vraiment me compliquer lavie toâ hein :o)))))Merci pour ce beau récit !
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L
Ecoute, faut savoir ce qu'on veut ! Pour avoir du thym de la qualité du tien (en ai saupoudré des petits bricks au chèvre ce midi...), certains sacrifices doivent être faits... Bises ;-))